La Fondation Carmignac à Porquerolles
Nous prenons le bateau pour rejoindre le village de Porquerolles. La traversée depuis Hyères permet de mettre une distance avec cette petite île. C’est un joli lieu avec de belles maisons fleuries. En mai, juin, et même jusqu’à la Toussaint, les îliens -environ 300- disent que c’est le paradis. Pendant les vacances scolaires, quand passent des milliers de touristes pour la journée, gare aux vélos : on circule à deux roues dans cette île aux allures de forêt en pleine mer, interdite aux voitures -à part pour les locaux et artisans- et les cyclistes se sentent des ailes. On ne les entend pas toujours venir, piétons, restez sur les côtés de la route. Au petit port d’arrivée, nous dégustons sans mesure ses glaces locales : Coco Frio, on leur fait de la pub sans gêne. Les cornets de sorbets ou autres -du Nutella au yoghourt- sont irrésistibles et très généreuses. Une double fraise vanille ici, ça équivaut à six boules dans certaines enseignes chics de Deauville. Rassasié après un long bain de mer, on continue jusqu’à la vieille église du village, sa place à l’ancienne.
A l’arrivée à la Fondation nous admirons une forêt d’oliviers. La Fondation Carmignac s'implante au printemps 2018 sur l’île de Porquerolles au sein du parc national de Port Cros. Le site est ouvert au grand public et présente une exposition permanente ainsi que des sculptures réalisées in-situ par des artistes internationaux. La réhabilitation du bâtiment existant, un mas provençal caractéristique et le prolongement du projet avec création d'un espace muséographique en sous-sol.
Le paysagiste Louis Benech est chargé de l'aménagement du jardin. L’intéressant tient à l’originalité du moment passé sur l’île. Des peintures en pleine nature, c’est rare, avec des baies vitrées qui donnent sur la mer d’un bleu incandescent. D’autant que le jardin de sculptures, qui oscille parmi les vignes, avec une douzaine d’œuvres monumentales créées spécialement, plaira aux enfants quand on vient randonner sur l’île ou flâner pour la journée. Comme ce labyrinthe de verre où l’on se perd pour se voir au cœur du vert, du bleu, de l’ocre de la terre, du soleil. Une façade du musée la situe dans une carte de la Méditerranée avec une glace réfléchissante.
Les collections
A la collection permanente, s’ajoute une présentation temporaire de soixante-dix œuvres. Pour la deuxième année d’ouverture de la Villa Carmignac, la Fondation Carmignac a invité la commissaire Chiara Parisi qui a imaginé une exposition, « La Source », puisant son inspiration dans l’architecture de la Villa et l’île de Porquerolles.
Lors de notre visite en octobre 2018, la programmation était différente : sur le thème de « sea of desire ». SEA OF DESIRE : cette phrase, dont les mots se déploient sur la surface d’une grande peinture d’Ed Ruscha, attend les visiteurs en fin de parcours, dans la forêt. « Les mots ont une température » déclare l’artiste, « quand ils atteignent un certain degré et deviennent brûlants, ils m’attirent… ». La température des mots de SEA OF DESIRE est chaude, elle bouillonne de sens et d’ambiguïtés. D’un côté, cette phrase exprime notre Eros et notre désir de beauté ; de l’autre, elle contient notre irrésistible attirance pour le drame, voire la destruction. Deux penchants contraires et indissociables qui sont à l’œuvre dans un magistral roman d’anticipation, écrit non loin de Porquerolles, à Sanary sur Mer, en 1931 : Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Ce monument de la littérature pressentait les profonds changements de société dus aux nouvelles technologies, à la propagande et la manipulation des esprits.
Une salle entière a été spécialement conçue pour accueillir une impressionnante fontaine, constituée de cent sculptures de poissons de Bruce Nauman.
Après la traversée d’un bois, le visiteur est invité à se déchausser avant de plonger sous la surface d’un mas provençal et découvrir une soixantaine d’œuvres issues de la collection, d’importants prêts mais aussi de nouvelles productions. Circuler en chaussettes, oui, c’est normal au Japon, sur l’épaisse moquette d’un temple de Kyoto. Sur l’île de Porquerolles aussi, on reste zen. On enlève les chaussettes -même si l’été, les vacanciers arrivent plutôt en tongs ou sandales- à l’entrée de la Fondation.
Lewis Carroll’s Wunderhorn de Max Ernst – première œuvre acquise par Edouard Carmignac – est le point de départ d’une grande fresque immersive de Fabrice Hyber, porte d’entrée de l’exposition. Un cheminement vers l’élan vital, régénérateur, de la source se déploie dans les espaces souterrains inondés de soleil. En se plaçant sous le plafond d’eau, puits de lumière et point d’équilibre du parcours, le visiteur découvre le plan des espaces en croix romaine, libéré de ses cimaises. Son regard embrasse toutes les œuvres, des plus méditatives aux plus engagées.
Deux axes majeurs de la collection sont ainsi explorés dans un jeu de vis-à-vis : le corps féminin (Egon Schiele, Roy Lichtenstein, Thomas Ruff …) et l’abstraction parfois expressionniste (Gerhard Richter, Theaster Gates, Susan Rothenberg…).
Roy Lichtenstein, né en 1923 à Manhattan, est un des artistes les plus importants du mouvement pop art américain. Ses œuvres s'inspirent fortement de la publicité et de l'imagerie populaire de son époque, ainsi que des « comics ». Il décrira lui-même son style comme étant « aussi artificiel que possible ». Ses œuvres sont largement représentées sur les cimaises de la Fondation qui en comprend une quinzaine, la plus importante collection privée.