Les impressionnistes à Londres
Un autre déjeuner sur l'herbe
Le parcours de l’exposition prend la forme d’un voyage : accompagner le visiteur par la scénographie pour lui faire partager cette expérience particulière de l’exil des artistes.
Des dispositifs décoratifs sobres accompagnés de bornes d’écoute conçues spécialement pour l’exposition, permettent au public de contextualiser la vie des peintres dans le Londres de l’époque. Les volumes des salles garantissent une bonne fluidité de circulation avec des moments forts tels la salle introductive à la géométrie déconstruite évocatrice de « Paris en guerre, Paris en ruine » ou « Le sas du voyage », une immersion poétique dans la traversée de la Manche au travers d’une animation d’après un tableau de Monet. Voir notre vidéo...
Les transitions sont traitées par des agrandissements graphiques et des cartographies. Une enfilade de fenêtres centrales en perspective dans la galerie Seine, permet des jeux de regards avec les salles consacrées à Carpeaux, Tissot et «L’Art club» dont l’atmosphère british sera propice à la présentation de portraits croisés.
Enfin, en clôture d’exposition, une vaste et spectaculaire salle présente notamment les chefs-d’œuvre tardifs de Monet.
Dans une première partie de l’exposition, nous observons la vie quotidienne des habitants de la capitale, queues devant les commerces, incendies… Gustave Doré, Carpeaux, Henry Dupray, René Gilbert, Meissonnier, Jean-Baptiste Corot, Isidore Pils, Frans Moormans, Claude Monet, illustrent cette époque.
Les peintures réalisées en Angleterre démontrent l’adaptation du style de Tissot à un public friand de scènes de genre. Ses représentations méticuleuses de la vie contemporaine offrent un point de vue nuancé d’ironie sur les rituels sociaux de l’Angleterre victorienne. Peintre de la vie citadine, Tissot accorde une grande importance à la mode et aux règles complexes de l’étiquette imposée par la haute société. En homme d’affaires avisé, l’artiste sut adapter sa production au marché anglais. Son oeuvre fut largement diffusée par le biais de gravures à l’eau-forte. Ce succès commercial se prolongea après son retour en France, en 1882. Tissot quitta en effet brusquement l’Angleterre après le décès de sa jeune compagne, Kathleen Newton, qui était devenue à Londres sa muse.
Sur le pont d’un bateau, dames et demoiselles tirées à quatre épingles discutent avec d’élégants messieurs. James Tissot (1836–1902) nous convie à un événement mondain des plus british, où chapeaux et bonnes manières sont de rigueur. Au centre de l’image, comme une invitation à nous frayer un chemin parmi les invités, un arc de cercle vide part du coin inférieur droit pour rejoindre le fond de la toile. À la fois communard et riche dandy, ami des impressionnistes et coqueluche de la Royal Academy qui pourtant les rejette, Tissot passe aussi facilement de Paris à l’Angleterre que d’un milieu social à l’autre. Pour décoder cette scène, il faut papillonner de détail en détail…
Derrière les cordages, les silhouettes gris pâle du littoral et des bateaux se détachent sur une eau lumineuse, presque blanche sous le soleil scintillant. Tissot rendrait-il hommage aux paysages de ses amis impressionnistes qui, de Whistler à Monet en passant par Sisley, Pissarro et De Nittis, se passionnent pour les effets d’atmosphère sur les eaux de la Tamise ? Dans les années 1870, l’artiste peint toute une série de scènes situées sur des bateaux ou sur la rive, avec le fleuve en toile de fond. Mais celle-ci se déroule ailleurs, bien plus au sud : à la régate annuelle de Cowes sur l’Île de Wight, lieu de villégiature très prisé par la reine Victoria et le gratin londonien.
Seraient-elles en train de juger une tenue ou de repérer un bon parti ? Serait-ce de nous qu’elles parlent tout bas ? Comme sur une gravure de mode, ces deux jeunes femmes en robes identiques, blanches et rehaussées de lignes bleu marine, attirent l’œil. Assorties à l’ambiance navale, ces coquettes affichent leur richesse et leur rang social avec ces jupes à tournure dernier cri gonflées à l’arrière, en contraste avec leur taille corsetée. Fils de drapier, Tissot s’est fait une spécialité des toilettes de la haute société anglaise qu’il reproduit avec virtuosité. Le vieil homme qui se tient debout derrière elles, l’air blasé, les mains dans les poches de son caban mal boutonné, se rapproche des caricatures que Tissot réalise pour le journal satirique britannique Vanity Fair lancé en 1868.
Les robes du groupe de femmes assises en cercle au fond à gauche sont décolletées. Un choix tout à fait inconvenant pour la journée selon les codes stricts de la haute société victorienne, la gorge nue avec simple ruban autour du cou étant réservée aux tenues du soir ou aux courtisanes. Un détail qui scandalisera plus d’un commentateur de l’époque… mais qui semble plaire à l’homme au chapeau. Avec son visage ovale aux traits doux, la jeune femme à l’éventail noir assise au premier plan témoigne de l’influence de Dominique Ingres (dont Tissot fut l’élève aux Beaux-Arts de Paris) et puise aussi parmi les pensives demoiselles du préraphaélisme anglais. Un homme en veste de capitaine (son mari ?) tient le dossier de sa chaise mais la belle semble s’ennuyer ferme… Que regarde-t-elle hors cadre ? Cherche-t-elle son amie qui a laissé un bouquet et une ombrelle sur le fauteuil voisin ? Aimerait-elle s’affranchir des convenances qui la poussent à rester sagement assise ?
En bas, on danse !
La demoiselle en rose qui monte l’escalier se ferait-elle reluquer par l’homme qui lui emboîte le pas ? Quoiqu’il en soit, tous deux viennent de l’étage inférieur où l’ambiance paraît beaucoup moins guindée. Moins détaillée, plus mouvementée, avec ses couples brossés à la hâte, la scène de danse qu’on aperçoit en contrebas est d’un tout autre style rappelant les tableaux et affiches de Toulouse-Lautrec. Les aplats et cernes noirs évoquent l’influence des estampes japonaises qui fascinent Tissot et de nombreux peintres impressionnistes à cette époque. Cette différence entre les deux étages pourrait bien être une métaphore de la séparation des classes sociales (le fameux Upstairs, Downstairs, titre d’un feuilleton britannique) et d’un constat sans appel : on s’amuse mieux en bas
Après la répression très dure qui s’abattit sur les communards en mai 1871, Dalou (1838-1902) rejoignit Londres pour un exil qui dura huit ans. Legros, son ancien condisciple de l’École impériale et spéciale de dessin à Paris, lui permit de trouver un toit, un travail alimentaire, et des mécènes. Bien accueilli par ses confrères anglais, dans un moment où la sculpture connaissait une certaine désaffection, Dalou exposa dès 1872 à la Royal Academy. Le Jour des rameaux à Boulogne, une statuette en terre cuite acquise par George Howard, fut la première d’une série d’œuvres à succès. Les sujets modelés par Dalou étaient liés à la sphère intime. Ils correspondaient à l’importance qu’il accordait à sa vie familiale et au goût de ses commanditaires, des financiers ou des propriétaires terriens, qui voyaient en lui un artiste dans la tradition des sculpteurs du XVI I Ie siècle français.
Pissarro et Sisley ont participé avec Monet à l’exposition parisienne qui a donné son nom au mouvement impressionniste, en mai 1874. L’impressionnisme, qui choquait les partisans d’une peinture lisse prônée par les maîtres académiques français comme par ceux de la Royal Academy, accordait une importance nouvelle à la matérialité de la peinture et aux sujets de la vie moderne.
Durant cette période de maturation du mouvement, les séjours des paysagistes à Londres renforcèrent leur attachement au travail en plein air, malgré un climat changeant et humide. Les lieux qu’ils choisissaient étaient ceux fréquentés par les nouveaux citadins en quête de loisirs que le chemin de fer conduisait hors des brumes du centre de Londres.
Lors de son exil en 1870, Monet était pauvre et méconnu. Son échec commercial lors de la première exposition de ses œuvres par Durand-Ruel avait suscité en lui le désir de revenir peindre à Londres en artiste à présent couronné de succès. De l’automne 1899 à janvier 1901, il séjourna à plusieurs reprises au Savoy Hotel, observant la Tamise de la fenêtre de sa chambre. Conservant le même point de vue d’une toile à l’autre, l’artiste s’attache à capter les infinies variations de la lumière si particulières, à la jonction du fleuve et du ciel.
La série des vues du Parlement s’impose comme le testament artistique de l’exil londonien, et l’archétype des représentations de la Tamise. Elle fut exposée parmi les Vues de la Tamise à la galerie parisienne de Durand-Ruel en 1904, l’année de l’Entente cordiale.
Cet artiste italien se réfugie lui aussi à Londres où il décrira des vues de la ville au quotidien. Un tableau des bords de la Tamise vue d’un pont se rapproche des impressionnistes grâce au brouillard.
Les personnes intéressées par De Nittis peuvent visiter l’essentiel de son activité au musée de la mer de Barletta, ville des Pouilles, qui en rassemble de nombreuses toiles.
De Nittis un italien à Paris - DIRPA Voyages, Musées, Expositions
De Nittis est un peintre italien impressionniste et naturaliste peu connu. Il a pourtant magnifié la vie parisienne et côtoyé les plus grands peintres de l'époque. C'est dans sa ville natale de...
http://www.mullerdirpa.com/2017/05/de-nittis-un-italien-a-paris.html
Derain rendit effectivement hommage à Monet en choisissant les mêmes motifs sur les bords de la Tamise et dans les parcs. Il défiait ainsi le vieux maître sur son terrain, développant progressivement sa propre expression et proposant à son tour une image radicalement nouvelle de Londres sur pas moins d’une trentaine de toiles. De terre d’exil forcé pour les artistes de la génération de 1870, Londres a conquis en trois décennies le statut de motif artistique majeur dans l’art français.