Musée des Arts Asiatiques de Nice : L'art en exil de l'empereur d'Annam
L’exposition porte sur la vie et la production artistique de Hàm Nghi (1871-1944), empereur d’Annam (Vietnam) exilé par les Français en Algérie à l’âge de 18 ans. Il n’est jamais retourné dans son pays. Il a toute sa vie pratiqué la peinture, la sculpture, le pastel et le dessin.
L’exposition réunit plus de 150 œuvres, objets et documents issus de collections privées et de musées parisiens (musée national des arts asiatiques – Guimet, musée Cernuschi, musée Rodin), relatant des pages de l’histoire et de l’histoire de l’art méconnues du public français. Elle s’appuie sur les travaux d’Amandine Dabat, commissaire de l’exposition, auteure d’une thèse de doctorat soutenue en 2015 et publiée en 2019, portant sur la vie et la production artistique de Hàm Nghi dont elle est l’arrière-arrière-petite-fille.
L'artiste
Hàm Nghi est le premier artiste vietnamien formé par des peintres et sculpteurs français. Destitué de son titre d’empereur, il s’adonna, tout au long de sa vie d’exilé à Alger, à la pratique de son art. Il séjourna régulièrement en métropole, où il côtoya les milieux intellectuels et artistiques de son temps. Son œuvre fut fortement influencée par l’impressionnisme, le postimpressionnisme, Paul Gauguin, Auguste Rodin.
Le "Prince d'Annam"
Le terme "Annam" signifie "Sud pacifié". Il fut utilisé par les Chinois sous les dynasties Tang, Song et Ming, du VIIe au XVIIe siècle, pour désigner le Vietnam. Les Français ont choisi ce nom, dont le sens symbolique est celui d’une sujétion à la Chine, pour désigner la partie centrale du pays. Pendant la colonisation, ils réduisent le pouvoir des empereurs à cette région, et leur attribuent le titre "d’empereur d’Annam". Hàm Nghi gardera le nom d’usage "Prince d’Annam" durant les 55 ans de son exil.
Hàm Nghi et l'exil
L'Indochine de Hàm Nghi est divisée
L’empereur Hàm Nghi, né Nguyễn Phúc Ưng Lịch en 1871, monte sur le trône le 2 août 1884 à l’âge de treize ans, au moment où le royaume d’Annam traverse une crise à la fois dynastique et politique. Son oncle, l’empereur Tự Đức (1829-1883, r. 1847-1883), sans descendance, avait adopté plusieurs héritiers pour lui succéder, dont deux frères aînés de Hàm Nghi.
La cour est alors divisée entre un parti favorable à la présence française et un parti de la résistance, auquel sont rattachés les régents Nguyễn Văn Tường et Tôn Thất Thuyết et la plupart des lettrés. Les Français, qui ont colonisé le sud de la péninsule avec l’annexion, de 1858 à 1867, du Cambodge et de la Cochinchine, reprennent leur expansion à partir de 1882 : le Tonkin au nord et l’Annam au centre du pays sont placés sous protectorat, dont les conditions sont établies par le traité de Huế signé le 23 août 1883.
En août 1884, après le règne éphémère et la mort de trois successeurs désignés, les régents portent leur choix sur Hàm Nghi, bien qu’il ne soit pas prince héritier, probablement parce qu’il est plus jeune et plus docile que son frère Ưng Kỷ (futur empereur Đồng Khánh). La nuit du 4 au 5 juillet 1885, le régent Tôn Thất Thuyết, ministre de la Guerre, provoque une bataille pour expulser de l’enceinte de la citadelle de Huế la Légation française qui s’y est installée. Au petit matin, les Français prennent le dessus, contraignant la cour à prendre la fuite. Le régent déclare la création d’un mouvement patriote, le Cần Vương (« Aider le Roi »), et emmène l’empereur Hàm Nghi dans les montagnes de l’Annam, où l’armée française le pourchasse en vain pendant trois ans.
L’exil en Algérie
Il est finalement livré le 29 octobre 1888 par l’ancien chef de sa garde. Les autorités françaises décident de l’exiler, espérant mettre fin à la lutte anticoloniale dont il est le porte-drapeau. Le département français d’Alger est préféré à la métropole, pour éviter que l’opinion publique ne se saisisse de l’histoire de ce jeune empereur pour critiquer la politique coloniale du gouvernement.
À partir du printemps 1904, Hàm Nghi utilise les gammes de teintes saturées de Paul Gauguin (1848-1903), proches les unes des autres sur le disque chromatique. Il s’inspire de la touche et des aplats du maître, dont il découvre l’œuvre lors du Salon d’Automne de 1903. Mais c’est à travers le vocabulaire de l’impressionnisme qu’il exprime le mieux sa fascination pour les effets de lumière.
Il emprunte à Claude Monet (1840-1926) le travail en paires et en séries, afin d’étudier les variations lumineuses sur un même paysage, qu’il imprime sur la toile par une touche fracturée. L’été, lorsqu’il se rend en France, Hàm Nghi emporte avec lui son matériel et peint les paysages français avec la même touche qu’en Algérie. Des différents mouvements artistiques antérieurs auxquels il s’est intéressé, il ne s’est inspiré que des techniques picturales, laissant notamment de côté les sujets politiques ou sociaux chers aux peintres français.
Reconnu en tant qu’artiste par son cercle d’intimes, Hàm Nghi ne recherche pourtant pas la reconnaissance publique. Très éloigné de la figure de l’artiste en quête de renom et de bonne fortune critique, il se montre peu soucieux de signer et de dater ses œuvres, ou de les inscrire dans une évolution stylistique linéaire, alternant constamment les techniques impressionnistes, pointillistes et Nabis.
Peu de temps après son mariage en 1904 avec Marcelle Laloë , fille du président du tribunal d’Alger, Hàm Nghi acquiert à crédit un terrain sur la commune d’El Biar où il fait construire une maison néo-mauresque. La villa Gia Long est pourvue d’un immense atelier où il peut travailler à son aise. Son quotidien est dès lors rythmé par la vie familiale, avec ses trois enfants, son activité de peintre, qu’il a pratiquée toute sa vie, la fabrication plus occasionnelle de meubles, et la pratique de la sculpture, qui s’est intensifiée avec les années, jusqu’à devenir prépondérante. Le jeune Hàm Nghi débarque à Alger le 13 janvier 1889, affaibli par les fièvres du paludisme. Installé dans une villa sur les hauteurs de la ville à El Biar, placé sous la garde d’un officier, celui qu’on nomme désormais "Prince d’Annam" est un pion sur l’échiquier politique de l’Indochine.
Il se voit dispenser des cours de français, de dessin et de peinture, dans l’objectif de le rendre pro-français, pour le cas où il serait amené à être réinvesti sur le trône d’Annam. Il reçoit une pension prélevée sur le budget général de l’Indochine. Comme les autorités françaises persistent à voir en lui le chef de la résistance anticoloniale, son courrier est surveillé et toute communication avec l’Indochine lui est interdite.
Il fréquente la haute société française d’Alger et les jeunes Vietnamiens originaires de Cochinchine scolarisés au lycée de la ville, puis parvient peu à peu à faire circuler des lettres, dans lesquelles il ne manifeste aucune velléité politique, et à recevoir des denrées et des objets d’Indochine. Sa correspondance témoigne de sa difficulté à communiquer en français tout au long de sa vie. Il oublia peu à peu les caractères chinois, et ne maîtrisait pas l’écriture romanisée (quốc ngữ) qui devint officielle au Vietnam dans le premier quart du XXe siècle.
Prisonnier politique, limité dans ses déplacements que la presse relate, il trouve dans l’art son espace de liberté, réservé à sa sphère intime, personnelle. Il devient l’élève de Marius Reynaud (1860-1935), peintre orientaliste français, né à Marseille et installé en Algérie depuis près de dix ans, qui lui enseigne la peinture académique en atelier (portraits, études de nus et natures mortes) et l’emmène peindre sur le motif dans les environs d’Alger.