Turner à Monaco
Cet été 2024, le Grimaldi Forum Monaco dévoile en collaboration avec la Tate, l’exposition-évènement Turner, le sublime héritage. Présentant un ensemble d’œuvres de premier plan dans une scénographie inédite de plus de 2000 m2, cette exposition est une invitation à un voyage à travers les représentations sublimes du monde de Joseph Mallord William Turner, de ses paysages aux explorations élémentaires de la lumière et de l’atmosphère dont il fut précurseur et maître.
L’influence déterminante de Turner sur la peinture, et par extension son héritage, sera mise en regard dans le parcours de l’exposition, en dialogue avec une trentaine d'oeuvres d'artistes modernes et contemporains majeurs incluant John Akomfrah, Olafur Eliasson, Richard Long, Cornelia Parker, Katie Paterson, Mark Rothko, ou encore Jessica Warboys.
Sur une surface de plus de 2000 m², l’exposition offre une scénographie inédite mettant en lumière les paysages sublimes de Turner, de ses premières aquarelles et toiles des paysages britanniques des années 1790 à ses toiles éclatantes des années 1840. Ces dernières faisant penser parfois au mouvement impressionniste.
Pourquoi visiter cette exposition ?
Elle s’adresse aussi bien aux amateurs d’art moderne et contemporain qu’à ceux intéressés par les peintures plus historiques et classiques. Les œuvres de Turner dialoguent directement avec des œuvres contemporaines dans les mêmes salles, permettant d’intéresser tous les publics et de faire connaître deux époques différentes qui se répondent mutuellement.
Interrogée, Elizabeth Brooke explique que Turner est non seulement « un pionnier du modernisme » mais aussi l’un des peintres britanniques les plus connus : « Le public pourrait aussi bien être attiré par les artistes contemporains que découvrir Turner » et vice versa.
L’exposition propose un parcours éducatif et sensoriel, commençant par une introduction aux concepts de sublime et de romantisme, puis évoluant à travers les différentes périodes de la carrière de Turner.
Le Grimaldi Forum présente près de quatre-vingts œuvres mêlées aux travaux de quinze artistes modernes
Dans les années 1968 et 1969, Mark Rothko décida de céder neuf des trente tableaux, qu’il avait initialement réalisés pour le Seagram Building de New York, à la Tate Gallery de Londres, où ils sont entrés juste avant sa mort, en 1970. Parmi les motivations du peintre américain, il y avait la perspective déterminante d’être accroché non loin des œuvres de l’Anglais Joseph Mallord William Turner (1775-1851), dont le musée londonien possède la plus importante collection au monde, 32 000 pièces en tout (tableaux, dessins, aquarelles), léguées par leur auteur à la nation britannique. Un peintre dont Rothko disait, avec un beau sens de l’ironie : « Ce Turner me doit beaucoup ! »
A voir la dernière salle de l’exposition que le Grimaldi Forum, à Monaco, consacre à Turner et à une sélection de sa descendance contemporaine, on comprend pourquoi : Elizabeth Brooke, la commissaire, aussi « chargée de mission curatoriale pour les partenariats internationaux » de la Tate, a crânement accroché, l’un à côté de l’autre, un tableau intitulé, peint par Turner vers 1827, et une œuvre sans titre (1969) de Rothko. La parenté formelle est patente.
C’est tout l’enjeu de cette exposition que de montrer l’actualité de ce peintre depuis longtemps disparu, en mêlant près de quatre-vingts œuvres de Turner (trente-huit toiles et quarante œuvres sur papier) aux travaux de quinze artistes contemporains, qui peuvent revendiquer ce que le sous-titre de la démonstration nomme le « sublime héritage ».
Une nature démesurée
Cette notion de « sublime », qui ouvre le parcours avec une citation du critique anglais John Ruskin (1819-1900), très proche de Turner, a un sens bien particulier en histoire de l’art. Elle s’oppose généralement à celle de « pittoresque », littéralement « digne d’être peint », laquelle relève d’un registre que l’on peut qualifier de plutôt gentillet, et concerne une nature qui, par sa grandeur ou son déchaînement, nous dépasse, voire inspire de l’effroi. Pour
Ruskin, elle désignait aussi tout ce qui « élève l’esprit ». Et donc, selon lui, en premier lieu la peinture de son ami Turner.
En se faisant le chantre d’une nature démesurée, celui-ci réagissait fortement à l’industrialisation croissante de sa patrie, aux pollutions qu’elle engendrait, ce qui rejoint bien des préoccupations actuelles. Nombreux sont les artistes plus contemporains qui l’accompagnent dans cette exposition à partager cette inquiétude, comme Olafur Eliasson, écologiste convaincu, et il semble que les choix de la commissaire se soient en partie effectués sur cette base. Mais juxtaposer tant de talents différents est un exercice difficile, surtout en ce qui concerne l’accrochage.
Elle s’en tire honorablement, et ce, dès la première salle, très sombre, qui accueille une grosse boule à facettes, du type de celles des boîtes de nuit, réalisée par Katie Paterson. Chaque facette est imprimée d’une photographie d’éclipse solaire. Elle voisine – pas trop, fort heureusement, vu les reflets et les scintillements qu’elle projette sur les murs – avec quelques clairs de lune peints par le maître, lequel aimait faire attendre ses invités dans une pièce obscure, pour que l’éclat ensuite révélé de ses œuvres n’en soit que plus puissant.