La famille Trachel aux musées de Nice
Hercule Trachel
Hercule Trachel est bien connu des visiteurs attentifs des églises et musées de Nice où il est fort bien représenté. Ce cercle d’amateurs, passionnés mais discrets, est cependant sans commune mesure avec le renom acquis au milieu du 19eme siècle auprès d’un public aussi bien local qu’international. La postérité de l’artiste semble avoir souffert de la conjugaison de divers facteurs, pour l’essentiel caduques aujourd’hui. En premier lieu, la donation considérable que consentit à la ville sa plus jeune sœur Fanny Trachel, héritière du fonds complet de l’atelier et de la collection personnelle de l’artiste, devait paradoxalement desservir la diffusion de l’œuvre, d’autant plus confinée dans les collections niçoises que les rares tableaux passant en vente publique étaient immédiatement acquis par les amateurs locaux. La réduction de ces multiples handicaps permet aujourd’hui d’appréhender sous un jour nouveau une production qui offre des instants délectables, en particulier parmi les paysages aquarellés, noyau central d’une production où le brio d’Hercule Trachel éclate et nous séduit, comme il sut conquérir le public de son temps.
Hercule Trachel naît le 5 juillet 1820 à Nice, rue de la Terrasse, maison Tiranty. Il est le premier enfant de Louis Hyacinthe Trachel (1782-1865) et de Madeleine Monnier (1795-1869). Louis Trachel exerçait le métier de peintre en bâtiment et s’était spécialisé dans les travaux délicats, peignant les enseignes, les armoiries, et en particulier les fiacres. Louis encourage les débuts picturaux de son fils et
« fut le premier à mettre la craie dans [ses] mains. Il avait quatre ans à peine qu’il barbouillait sur les portes et les murs de la maison avec un goût qui décelait en lui l’artiste de l’avenir».
Après un cycle primaire chez M. Garracio, Hercule est admis au collège dirigé par les Jésuites. Il s’y distingue si bien que les Pères souhaitent l’admettre dans leur ordre, mais Louis Trachel préfère placer son fils chez un notaire. À quatorze ans, sans doute dans le but de perpétuer une entreprise familiale, Hercule est inscrit à l’école municipale de dessin. Ses professeurs, qui voient en lui un artiste d’avenir, persuadent ses parents de l’envoyer à l’Académie. Ce fut la Reale Accademia Albertina de Turin de 1837 à 1839.
Hercule Trachel élabore sa propre synthèse, dans laquelle la fantaisie, l’inspiration, jouent avec le réel et laissent transparaître un sentiment nouveau à l’égard de la nature, mêlant affection, convention et émotion sincère.
De retour à Nice en 1839, le jeune peintre se tourne vers les mécènes locaux, la commande publique et l’aristocratie étrangère qui plébiscite ses vues de Nice. La technique de l’aquarelle, très appréciée de la nombreuse colonie anglaise, devient son médium préféré. Il abandonne très rapidement le style des artistes niçois pour associer des lavis délicatement modulés à de petites touches rapides discontinues qui donnent le ton local et créent une vibration colorée inconnue des topographes. Il n’est certainement pas abusif de penser qu’en ces années où il forge son style Hercule Trachel ait indirectement reçu l’influence de Thomas Girtin, du premier Turner et de Richard Parkes Bonington. Ce n’est que lors de son premier voyage à Londres en 1853 qu’il pourra se confronter directement à l’art de ses grands aînés.
À l’école du voyage.
Désormais bien introduit dans les milieux aristocratiques niçois, Hercule Trachel commence à voyager dans toute l’Europe en compagnie de riches protecteurs. Il réalise son premier véritable voyage d’Italie avec le prince russe Galitzine en 1847. De Rome, il adresse le 1er mars une lettre enthousiaste à son ami Nicolas Bianchi, « marchand de fer » à Nice. « J’ai vu Gênes, Livourne, la tour penchée et le cimetière de Pise [...] J’ai visité presque toutes les ruines de Rome. Nous allons toujours avec un antiquaire car on ne peut se fier aux contes des gardiens et guides [...] Le Colisée est selon moi la plus magnifique ruine qu’on puisse voir. Je l’ai visitée plusieurs fois, je l’ai dessinée ».
Cette appropriation des sites d’élection du védutisme international n’est pas seulement un sacrifice à la mode ou à la tradition. Elle marque l’entrée de l’artiste dans le cercle des peintres de Rome, et l’inscrit dans un système de valeurs et de filiations que chaque nouvel interprète a contribué à construire depuis l’âge classique.
Hercule Trachel et Nice.
Aussi nombreuses que soient les vues de voyages rapportées par Hercule Trachel, les paysages de Nice et Villefranche restent son principal sujet d’intérêt. Il modifie sans cesse les points de vue, variant l’altitude, l’éloignement, l’orientation, grâce aux multiples promontoires offerts par les collines de Nice. Les silhouettes familières de la colline du château, du monastère de Cimiez, de l’abbaye de Saint-Pons, la Tour Bellanda, les ponts sur le Paillon ou le Var, le moulin du Ray, se répondent d’un tableau à l’autre, comme autant de codes iconographiques qui permettent au spectateur de se situer dans l’espace.
Hercule Trachel a très tôt étendu cette activité de graveur à d’autres genres : avec son recueil Costumes de Nice Maritime publié en 1842, il s’inscrit dans un courant propre au 19e siècle, qui voit les érudits de toute l’Europe s’intéresser aux moeurs et parlers locaux. Trachel est très intimement mêlé au milieu régionaliste niçois, par son amitié avec le poète nissart François Guisol. Il grave un portrait plein d’humanité de son ami en frontispice de ses Loisirs poétiques de 1846 et illustre ses comédies de nombreuses gravures17, dans un style évoluant entre la caricature, le burlesque et le croquis de scène. Car Hercule Trachel joue lui même la comédie, au sein de la troupe des « Giouve Amatour »18 jusqu’en 1848 puis avec le « Théâtre de l’Union », qu’il fonde en 1850 avec Léon Pollonnais. Un programme daté de 185119 confirme ce que la correspondance et les articles de Guisol suggéraient : Trachel chante, avec un certain succès, des romances ou des extraits d’opéras alors en vogue, tel que Lucrezia Borgia de Donizetti.
La peinture religieuse au Palais Lascaris
Si l’œuvre religieuse d’Hercule Trachel est bien connue des historiens niçois, elle l’est moins du grand public. Pourtant, comme les archives et la correspondance du peintre le prouvent, cette activité documentée de 1841 à 1868 tient une place essentielle dans la carrière du peintre. C’est d’abord un grand nombre de tableaux de dévotion conservés dans des intérieurs privés, dont témoignent par exemple En mai, offrande à Marie au musée Chéret, la gracieuse Vierge accrochée au-dessus de la porte de la Sacristie du monastère de Cimiez et les nombreux croquis de ses carnets. Mais au-delà, eu égard aux nombreuses commandes officielles obtenues, nous pouvons considérer qu’Hercule Trachel devient au milieu du siècle, le principal peintre de sujets religieux en activité à Nice. À n’en pas douter, le peintre se saisit de cette occasion pour aborder le grand genre, qu’il ne traite pas véritablement en dehors du cadre religieux, et donner ainsi une légitimité académique à une œuvre par ailleurs fortement tournée vers le paysage.
Les révolutions artistiques de la fin du 19e siècle condamnaient sans appel cette esthétique, et la peinture religieuse d’Hercule Trachel devait connaître une rapide désaffection puis tomber dans l’oubli. De nos jours, la critique ramenée à plus de mesure permet de redécouvrir une œuvre qui apparaît dans la droite ligne d’un éclectisme cher au dix-neuvième siècle, oscillant entre néo-classicisme, goût troubadour, baroque italien et Saint-Sulpice. Pur produit de son temps, Trachel a pleinement participé au mouvement que Bruno Foucart a identifié comme Le renouveau de la peinture religieuse au dix-neuvième siècle.
Dominique TRACHEL (1830-1897)
Bien que doué d’une grande habileté, il ne pousse pas sa formation plus loin. Évitant les académies, il se forge une manière personnelle, très libre, plus ouverte aux évolutions ultérieures du siècle. Néanmoins, son talent est reconnu dans les multiples aquarelles du pays de Nice qu’il exécute sur l’exemple de ses frères. Amoureux de la mer, il multiplie les marines. Comme beaucoup de ses contemporains, Dominique expose ses œuvres dans les vitrines de la librairie d’Amédée Delbecchi (actuelle papeterie Rontani).
« Nous nous étions donc rendus, rue du Pont Neuf, afin de voir une marine de Dominique Trachel [...]. L’ayant réclamée à Delbecchi, ce dernier s’empressa de nous conduire dans son magasin du premier, sorte d’antichambre où les tableaux attendent leur tour d’exposition, nous trouvâmes là le tableau demandé.
« Dominique Trachel est un enfant de Nice, ils sont tous artistes dans la famille, mais lui, le plus jeune, en sera lorsqu’il le voudra le plus distingué. Habitué à ne voir de lui que de petits panneaux, fort gracieux il est vrai, mais fort peu sérieux, nous avons été agréablement surpris lorsque nous nous sommes retrouvés en face d’une véritable page artistique.
« Au milieu d’une mer en furie, un brick désemparé lutte encore ; rien de saisissant comme l’ensemble de ce tableau ; on sent le vent soulever ces grandes vagues, on entend crier les ais de ce pauvre navire ballotté, et sur tout cela pèse un ciel sombre et menaçant, c’est réellement beau et poétique comme une page de Gudin.
« Tout le tableau est traité avec cette facilité qui distingue les œuvres de ce jeune artiste, facilité peut-être trop grande car moins doué, Trachel aurait peut-être travaillé un peu plus ; mais il est tout jeune encore, l’avenir est devant lui.
« Qu’il marche donc et qu’il persévère dans la nouvelle voie où il est entré. Qu’il aille aussi demander aux bords de l’Océan de nouveaux effets, et aux maîtres dans nos musées les secrets de leur palette. Qu’il travaille surtout d’une manière sérieuse et ses tableaux seront avant dix ans, placés à côté de Ziem et de Gudin». Il fait ses débuts lors du salon de la Société des Amis des Arts de Nice en 1852 où il expose deux marines. « Dans la marine, M. Dominique Trachel porte bien le nom de son frère et dans une voie différente, il réalisera bientôt de talent avec lui ». Les deux aquarelles font partie de liste des œuvres achetées par la Société afin d’être tirées au sort parmi les sociétaires. Ce choix est approuvé par le président, Paul Delaroche, et les deux œuvres payées 120 francs à Dominique Trachel.
Au salon de 1853, il montre quatre petites marines. Le comité de direction de la Société les achète également pour les mettre en loterie.
Antoine TRACHEL (1828-1903)
Fils cadet, comme son jeune frère Dominique, d’une famille modeste, Antoine doit rapidement gagner sa vie et ne peut bénéficier des enseignements d’une académie de peinture. Très adroit de ses mains, il s’établit sculpteur sur bois et construit, tout au long de sa vie, une grande quantité de meubles, coffrets, bas-reliefs, cadres en bois ouvragés. Antoine réalise également de nombreuses terres cuites et poteries émaillées. Sa maîtrise dans les arts décoratifs lui assure une grande réputation locale. Souvent ornés d’un riche bestiaire sculpté, ces objets décoratifs dénotent un grand sens de l’observation chez Antoine Trachel. Selon Fanny Trachel, sa sœur, il aurait été désigné meilleur ouvrier du comté et envoyé aux frais de Turin à l’Exposition internationale de Londres en 1851. Les riches hivernants raffolent de ce petit mobilier et de ces bibelots qu’ils emportent comme souvenir de leur séjour niçois. Ils apprécient également les vues pittoresques exécutées par les aquarellistes locaux ou encore la marqueterie niçoise dont la réputation touche l’Europe entière. Auguste Burnel rapporte que le talent d’Antoine est alors fort apprécié : « Il a durant le séjour de l’Impératrice de Russie à Nice, en 1857, exécuté pour S.M. un assez grand nombre de jolis travaux. Il a sculpté, par exemple, une boîte en bois d’olivier sur les quatre faces de laquelle son frère aîné, Hercule Trachel, a peint en miniature quatre vues de Nice qui ont été singulièrement admirées ».
Antoine peint des décors muraux, notamment une scène villageoise pour la villa Gastaud à Fabron. Comme son aîné Hercule, Antoine réalise surtout d’innombrables croquis, dessins à la plume, lavis et aquarelles du pays niçois qu’il vend aux étrangers et aux amateurs locaux. Alors que chez Hercule, la mise en scène des personnages et du paysage est subordonnée au point de vue choisi, aux références à l’exotisme et à l’Italie, nous trouvons chez Antoine beaucoup plus de simplicité. Le choix des sujets - paysans au jardin, jeune fille à la fontaine, ramassage des filets, étals dans la rue -, l’absence de heurts chromatiques, la prédilection pour les teintes pastels, les perspectives simplifiées par l’absence d’ombres portées et surtout le rendu des personnages, le plus souvent esquissés dans leurs attitudes plutôt gauches, cantonnent parfois son art à l’anecdotique, voire au folklore. D’abord naïves, ses vues s’affinent peu à peu en un style ambitieux et sans complexe qui annonce les aquarelles d’Alexis Mossa. Antoine parcourt le Comté de Nice dans son ensemble, laissant de nombreuses aquarelles des villages, notamment de la Roya. Outre l’intérêt documentaire de ces petits formats en ce qui concerne les costumes, les métiers, l’architecture et le paysage, il se dégage beaucoup de charme de la plupart d’entre eux.
Alors que ses frères Hercule et Dominique restent célibataires, Antoine se marie avec Anne-Marie Vérola, dont il a trois enfants. Ses dons multiples lui permettent d’exercer une intense activité créatrice tout au long de son existence qui s’achève le 8 décembre 1903, dans la maison familiale du 148, rue de France.
C’est Fanny Trachel, qui fonde l’Ecole municipale de dessin de la villa Thiole.
La Société des Amis des musées de Nice organise de nombreuses visites tout au long de l'année. Elle tient une permanence au musée Masséna 65 Rue de France, le mercredi de 14h30 à 16h30.
Téléphone : 0493872098 ou 0961559766
Courriel : amis.musees.nice@wanadoo.fr