La Fondation Hartung-Bergman à Antibes
Avec les Amis des musées de Nice, nous avons passé la journée du 7 février à visiter la ville d’Antibes. Au programme de cette visite il y avait celle du musée Picasso (photos interdites), du musée archéologique de la ville, enfin la visite guidée de la Fondation de Hans Hartung. Cet article sera entièrement consacré à la Fondation qui mérite amplement une visite. Outre les tableaux exposés, on découvre deux ateliers d’artistes, calibrés pour pouvoir y travailler dans des espaces lumineux. On y observe une grandeur, une luminosité, une architecture intérieure qui laisse loin derrière les ateliers des peintres maudits de Montparnasse. Ici, c’est la rigueur d’une organisation tournée vers la lumière, l’hédonisme de lieux magiques, mis au service de l’art.
Comme toujours, sur la Côte nous sommes émerveillés par le choix de l’emplacement du musée. L’architecture tout d’abord est peu invasive et respectueuse de l’environnement constitué d’une magnifique oliveraie. A l’entrée, un immense patio de bâtiments blancs est centré sur une piscine. Hans Hartung en faisait un intense usage, réclamant une température de 35° afin de pouvoir s’y baigner toute l’année.
En descendant vers les ateliers d’artistes, on traverse une vaste oliveraie, qui donne une tonalité particulière à l’intérieur même des ateliers. Ils sont baignés d’une belle lumière, grâce à d’immenses baies vitrées.
Les espaces intérieurs sont immenses et peuvent ainsi abriter des tableaux de grande dimension. Hans Hartung a conçu les plans d’Antibes, dont la construction s’étale sur six années. Il définit ainsi son travail d’architecte.
« La maison pour moi, c’est un cube. Des cubes blancs aux lignes simples comme la maison des pêcheurs espagnols de l’île de Minorque, ou du sud de l’Espagne. La nôtre, celle d’Antibes, leur ressemble. Les jeux du soleil et de l’ombre, la lumière reflétée sur les murs et les plafonds par la blancheur des lames savamment inclinées des persiennes valent, pour un peintre, bien des toiles. Et puis les fenêtres me servent de tableaux. A travers elles s’inscrit le paysage immuable mais pourtant toujours différent d’un ciel frémissant à travers les feuilles argentées des oliviers. »
L’atelier d’Anna Eva Bergman
Il réunit plusieurs époques qui montrent l’évolution de l’artiste au cours des ans. “La ligne est le squelette indispensable de la peinture. Mais pourquoi, faut-il donc que la ligne soit utilisée à dessiner des contours ? Le rythme n’est-il pas beaucoup plus important ? Le contour n’existe pas, il n’existe que le passage à autre chose – de la lumière à l’obscurité – de la couleur à la couleur. Le contour est une limitation et une peinture est un monde en soi sans autre limite que l’extérieur de son cadre.”
Un style proche de la caricature
Dans la période d’avant-guerre, l’œuvre d’Anna-Eva Bergman est encore exclusivement figurative. Les dessins qu’elle fait à partir de 1929, à la limite de la caricature, donnent une image piquante du milieu bourgeois de son époque. Son style, au début de cette période, est très marqué alors par les artistes de l’école allemande de la « neue Sachlichkeit », comme Georg Gross et Otto Dix, à la différence qu’elle aborde ses personnages sous un angle moins dur, plus humoriste et satyrique. Ensuite, son trait dans ses illustrations sera très différent de celui des dessins du début des années 30 : Elle travaille en un seul trait, légers, simples, parfois rehaussés de couleurs primaires. Elle illustre en 1938 dans ce même style si vif le livre de cuisine Casseroles qu’elle écrit en Espagne sans réussir à le publier. Par la suite, les tableaux de Minorque annoncent les « formes claires » qu’elle peindra : murs, miroirs, falaises. Pour l’instant, elle utilise les murs et les façades comme prétextes à la représentation de surfaces géométriques. La clarté dans ses dessins et ses peintures est le trait commun de son art avant et après-guerre.
La svastika utilisé comme un emblème totémique
Son retour en Norvège en 1939 sera le tournant le plus décisif de toute sa vie créatrice et doit être considérée comme une véritable métamorphose. Elle a maintenant une perception très différente d’elle-même et de son art à la suite d’une période de lectures intenses et approfondies sur l’art et l’architecture, la philosophie et l’histoire des religions. Encouragée par Christian Lange, elle a fait des recherches en mathématiques, en géométrie, sur la section d’or, et elle a appris une nouvelle technique « très ancienne » (la dorure à la feuille). Au cours de l’été 1950, elle fait un voyage en bateau le long de la côte norvégienne, au cours duquel elle visite les îles Lofoten, le Finnmark et les villes principales de la Norvège du Nord. La structure des rochers se fond dans son abstraction, et son style s’affermit de cette sorte de « retour à la nature ». Les tableaux de la série « Fragments d’une île en Norvège » sont une transition capitale vers l’œuvre de sa maturité. C’est à Paris, en 1952, que la pierre – la première, polie par l’eau – apparaît dans un grand nombre de croquis à l’aquarelle, à la gouache ou au lavis. Au départ, c’est une pierre toute simple qui remplit toute la feuille. Monumentale par la forme, avec une indication de volume dans la modulation de la couleur gris-brun. Par la suite, des combinaisons de plusieurs pierres sont ordonnées sur la feuille ou la toile en groupes rythmiques. Peu à peu, les pierres se transforment, de nouveaux motifs apparaissent entre 1953 et 1955. Certaines pierres prennent la forme d’arbres, de griffes, ou encore de corps célestes. Un trait commun à ces formes est leur lourdeur monolithique, monumentale, et le fait qu’elles sont isolées. On dirait qu’elle a emporté avec elle une sorte d’essence de son pays, sous la forme d’archétypes, surtout des paysages tels que montagnes, fjords, glaciers, lacs, chutes d’eau, falaises. Les feuilles de métal, qu’elle applique sur la toile avec sa technique très particulière, donnent à sa palette lumière et couleur.
Espace argent
Montagne
Le nouvel accrochage de l’atelier d’Anna-Eva Bergman présente une sélection d’œuvres autour du thème de l’horizon : multi-horizons, horizons de mer ou de montagne, ce motif est récurrent dans l’œuvre de l’artiste, des années 60 à la fin de sa vie. Or l’horizon est d’abord ligne d’horizon, et la ligne est une des clés de compréhension de l’œuvre de Bergman dans son ensemble. La ligne permet de mettre au jour une évidente continuité dans son travail, de ses débuts comme illustratrice, à son tournant vers la peinture abstraite à la fin des années quarante : avant d’être ligne d’horizon, la ligne est une ligne de force.
L’atelier d’Hans Hartung
L’état d’esprit de l’artiste tient dans cette description : « Il s’agit d’un état émotionnel qui me pousse à tracer, à créer certaines formes afin d’essayer de transmettre et de provoquer une émotion semblable chez le spectateur. Et puis, ajoutai-je, cela me fait plaisir d’agir sur la toile. C’est cette envie qui me pousse : l’envie de laisser la trace de mon geste sur la toile, sur le papier. Il s’agit de l’acte de peindre, de dessiner, de griffer, de gratter. »
Villégiature dans le sud de la France, à Barcarès et sur la plage de Leucate près de Perpignan ; il en profite pour étudier plus intensément l’art de Cézanne, de Van Gogh, et plus tard des cubistes dont l’influence se fera sentir dans son œuvre jusqu’en 1932. Par la suite il entreprend des recherches approfondies sur les rapports entre l’esthétique et les mathématiques. Je vivais au bord de la plage, dans une cabane de pêcheurs. Je la dessinai inlassablement sous tous ses angles. Dans « mon » cubisme, j’introduisais des lignes, des sections, des rythmes. Peu à peu je me rapprochais de nouveau de l’art abstrait bien que nourri d’expériences contraires. Mais il me fallait des preuves, des certitudes. Je les trouvai dans la Section d’Or dont je m’acharnais à percer les mystères, elle est une recherche de l’harmonie, d’une juste balance (…) En cela, j’avais le sentiment de participer aux forces qui régissent la nature. En septembre 1929 il épouse la jeune peintre norvégienne Anna-Eva Bergman dont il avait fait la connaissance au mois de mai lors d’une fête à Paris.
Montée du nazisme et guerre
Retour à Berlin avec l’espoir de clarifier sa situation matérielle, il entre fortement en conflit avec le régime nazi. Il est surveillé et interrogé par la police, entre autres à cause de ses contacts avec des camarades d’études juifs et communistes. En octobre, grâce à l’aide de Will Grohmann et de Christian Zervos, il parvient à partir pour la France. Il quitte cette fois définitivement l’Allemagne pour s’installer à Paris. Il se lie d’amitié avec Jean Hélion et Henri Goetz, il rencontre Kandinsky, Mondrian, Magnelli, Domela, Miró et Calder. Aux côtés de ces derniers, Hartung expose également une de ses œuvres à la Galerie Pierre Loeb en 1936. Son premier atelier parisien était situé au 19 de la rue Daguerre. De 1935 jusqu’à la guerre il participera chaque année au salon des « Surindépendants ». En peinture, j’étais devenu résolument tachiste. Mes taches s’étalaient, envahissant toute la surface de la toile.
À la suite de l’occupation du sud de la France Hartung prend la fuite en Espagne où il est emprisonné dans les geôles de Figueras, Gerona et au camp de Mirando de Ebro. Il refuse un visa pour les USA que lui propose un ami américain. Après sept mois de captivité il s’engage par sentiment du devoir dans l’armée régulière française pour combattre le fascisme, mais il est renvoyé de force dans la légion étrangère en raison de sa nationalité allemande. En novembre 1944, lors d’une attaque à Belfort, il est gravement blessé ; il devra par la suite être amputé de sa jambe droite. « J’avais été mis dans la salle des cas désespérés où, tous les jours, on mettait plusieurs paravents autour de ceux qui étaient en train de mourir. On m’avait coupé la jambe juste au-dessous du genou. Je priai, suppliai qu’on ôte mon pansement, qu’on examine ma jambe. Enfin, une infirmière se décida. Il coula de ma jambe une quantité inouïe de pus. « J’ai bien peur que votre genou aussi soit foutu », m’expliqua-t-elle. Ce qu’ils firent, sans anesthésie totale – avec tout ce que cela comporte d’horreur -, manquant ostensiblement de médicaments ».
Hartung obtient le Grand Prix de Peinture à la Biennale de Venise, où une pièce du pavillon français est entièrement consacrée à son œuvre. Lors de cet hommage il rencontre la confirmation de son parcours artistique : en 1960 une distinction le comble plus encore que tous les honneurs militaires (…) « J’étais enfin sorti de l’obscurité des années noires ». Hartung est fait officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Un changement fondamental intervient dans sa technique de création. Il utilise à présent pour sa peinture des couleurs vinylique séchant rapidement et que l’on peut diluer : elles lui permettent de parvenir également directement et spontanément à la forme recherchée, sans passer par le report d’esquisses, le tout étant réalisé sur des toiles grand format. Dès 1960, je me mis à improviser directement, même sur les grandes toiles, sans passer par des esquisses préalables. Souvent je ne touche pas à certains accidents, certaines ratures ou contradictions qui ont influé sur la création du tableau et qui lui ont donné plus de vie.
Après 1961
Début d’une nouvelle phase dans l’œuvre de Hartung caractérisée par le tracé par grattage de lignes graphiques dans la peinture encore fraîche. Dans ma jeunesse (entre 1928 et 1938), j’avais exécuté quelques eaux-fortes et j’en ai fait d’autres en 1953. Ce travail de gratter le cuivre ou le zinc est vraiment fait pour moi et cette passion m’a poursuivi jusqu’à avoir encore – vingt ou trente années après – une nette influence sur ma peinture, spécialement dans les années 1961 à 1965, où j’ai pris l’habitude de gratter, avec différents instruments, dans la pâte fraîche des couleurs, couleurs souvent sombres. Hartung pratique depuis cette période l’expérimentation systématique d’un grand nombre d’outils, pour certains très surprenants, servant à peindre et à abraser.
Un grand merci à notre guide pour la clarté de ses explications et de ses commentaires
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